Projet de loi de finances pour 2020 : recherche et enseignement supérieur
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à cette même tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science françaises.
Les groupes de travail chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue député Cédric Villani, président de l’Opecst, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » ; elle a « perdu du terrain ».
De fait, depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014 ; aujourd’hui, elles n’en représentent plus que 2,19 %.
L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Quant aux sommes investies par les entreprises privées pour la recherche, elles représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne. Ce différentiel ne cesse de se creuser, car, en 2017, ces investissements n’ont augmenté en France que de 1,7 %, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.
Or la faiblesse chronique des investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est ainsi l’un des rares pays d’Europe dont le nombre de doctorants est en baisse constante.
Cette régression doit être rapportée à la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics : pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs, au nombre de 412 en 2010, ne seront plus que de 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans.
Dans ces conditions, c’est la validité scientifique même des concours qui est fragilisée. En effet, par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays. Cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française.
Je pourrais malheureusement poursuivre longtemps la description de ces affaiblissements successifs.
Madame la ministre, votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à la moyenne des crédits de l’État.
Au-delà des effets d’annonce et de la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer, en 2020, d’affaiblir la situation économique des opérateurs de la mission.
Ainsi, l’absence de compensation du glissement vieillesse-technicité oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles.
De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près de 1 point tous les ans depuis 2010. Pour 2018, il a été estimé à 11 470 euros per capita, son plus bas niveau depuis 2008.
Cette décimation de l’emploi scientifique a touché plus durement encore les opérateurs de recherche. Ainsi, le CNRS a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs.
Sans doute la non-compensation du GVT est-elle considérée comme une saignée indolore, puisque le Gouvernement veut aller plus vite : il a décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finances rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour l’enseignement supérieur et la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Mes chers collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par ces annulations.
À tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, madame la ministre, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait.
Le Conseil constitutionnel admet toutefois qu’il est loisible aux établissements de percevoir des droits d’inscription, à la condition expresse qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer que celle-ci ouvre des voies de recours à tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription comme disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.
En théorie, votre projet de budget paraît quasi stable ; en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au reste, vous en avez parfaitement conscience, puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.
Mes chers collègues, nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes, les annonces décisives étant réservées à un autre auditoire. Il en va du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale : l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle... Nous voterons contre ces crédits !