Suivez-moi sur
Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste

Le succès relatif du loto du patrimoine ne pourra remédier au désengagement de l’État

Projet de loi de finances pour 2020 : culture


Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà soixante ans était fondé le ministère de la culture. Créé pour et par André Malraux, son premier et seul ministre d’État, sa mission était, pour l’auteur de La Condition humaine et de L’Espoir, « de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».


M. Roger Karoutchi. Bonne référence !


M. Pierre Ouzoulias. L’année suivante, en 1960, est inaugurée la première maison de la culture à Béthune, puis celle du Havre, en 1961. À cette occasion, André Malraux rappelle que le IVe plan en prévoit la constitution d’une vingtaine dans les quatre ans.


Il résume ainsi son ambition : « Il s’agit de faire ce que la IIIe République avait réalisé, dans sa volonté républicaine, pour l’enseignement ; il s’agit de faire en sorte que chaque enfant de France puisse avoir droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma, etc., comme il a droit à l’alphabet ». Défendant son budget devant le Parlement en octobre 1966, il ajoute : « Religion en moins, les maisons de la culture sont les modernes cathédrales : le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu’il y a de meilleur en eux. Sachez que chaque fois que nous en bâtissons une dans une ville moyenne, nous changeons quelque chose d’essentiel en France. »


Soixante ans après, que reste-t-il de cette ambition ? Le pass culture ? Ce dispositif nous semble symptomatique de la perte de sens des politiques soutenues par le ministère de la culture. Les rares données disponibles pour l’expérimentation en cours laissent à penser qu’il n’a pas favorisé la diversification des pratiques culturelles, mais, au contraire, qu’il a conforté les jeunes dans leurs choix actuels, échouant à intéresser à la culture les adolescents qui en sont les plus éloignés.


Avec la rapporteure pour avis, Sylvie Robert, nous considérons qu’une politique publique dans le domaine de la culture doit nécessairement mettre à profit et contribuer à développer le réseau des structures culturelles et, plus particulièrement, celles qui sont aidées ou gérées par les collectivités locales. À l’opposé, le pass culture, promu par une société privée, risque de renforcer encore davantage l’emprise des plateformes qui captent déjà une grande partie de l’offre culturelle. Les capacités d’intervention de l’État s’en trouveront réduites.


Enfin, nous regrettons vivement que la montée en puissance rapide et peu contrôlée du pass culture menace l’existence même de l’éducation artistique et culturelle. Il est encore temps de suspendre cette expérimentation pour délivrer aux jeunes un autre message : éteignez vos portables et, selon la formule d’André Malraux, allez à la rencontre des gens pour rencontrer ce qu’il y a de meilleur en vous !

Le choix politique de confier les missions de l’État à des entités constituées à l’extérieur du cadre de ses administrations a présidé, de la même façon, à l’organisation du chantier de sauvetage et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.


En juillet dernier, des engagements avaient été pris dans cet hémicycle pour que l’État contribue à son financement. Las ! Nous apprenons aujourd’hui que l’établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale disposera d’un budget alimenté en totalité par les dons privés et que ses compétences exclusives en feront l’unique régisseur de toutes les interventions sur le monument.


Comme je le craignais, ce chantier bénéficie ainsi d’une forme d’extraterritorialité, le constituant de fait en une petite principauté insulaire placée sous la seule autorité d’un coprince et aux frontières martialement défendues ! (M. Jean-Pierre Leleux s’exclame.)


À la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, le ministère de la culture a heureusement décidé d’un plan de rénovation des systèmes de protection contre l’incendie dans les 89 édifices de culte dont il est propriétaire.


Ce plan sera mis en œuvre par tous les acteurs du patrimoine – l’on regrette qu’une collaboration similaire n’ait pas été retenue à Paris. Il est doté d’un budget de 2 millions d’euros en 2020. Le rapporteur spécial vient de souligner, très justement, que cette mobilisation budgétaire a été réalisée aux dépens des crédits destinés aux opérations de restauration des monuments appartenant aux collectivités et aux propriétaires privés. Nous regrettons avec lui ce transfert, qui s’inscrit malheureusement dans un revirement majeur des choix politiques ministériels, dont témoignent aussi la faiblesse des moyens consacrés au patrimoine des centres anciens ou l’obsolescence programmée du dispositif fiscal dit Malraux.


Dans ce domaine aussi, le succès relatif du loto du patrimoine ne pourra remédier au désengagement de l’État dans des politiques patrimoniales structurantes conduites avec les collectivités.


De révision générale des politiques publiques en modernisation de l’action publique, les missions du ministère de la culture ont profondément évolué et votre proposition de budget pour l’année 2020, monsieur le ministre, s’inscrit dans ce renversement. Il devient urgent d’en tirer toutes les conséquences politiques et de procéder à un examen sincère de la place et du rôle du ministère de la culture, soixante ans après sa création.