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Monsieur le ministre évoque une école de la confiance quand il se satisfait d’une Éducation nationale fonctionnant en mode dégradé

Projet de loi de finances pour 2018 : enseignement scolaire

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est proposé de porter les crédits de la mission interministérielle « Enseignement scolaire » à 71,5 milliards d’euros de crédits de paiement pour 2018, un montant qui représente 25,68 % du budget de l’État.


Près de 93 % de ces crédits sont destinés à des dépenses de personnel. En d’autres termes, la mission de l’État dans ce domaine ne consiste plus qu’à payer les enseignants placés devant les élèves. Ce rôle exclusif sera accentué par ce projet de budget, qui poursuit le désengagement dans la médecine scolaire, supprime 200 postes dans la filière administrative et menace le financement des manuels scolaires.


Il faut donc garder à l’esprit que tout le reste est à la charge des collectivités territoriales. Il eût été intéressant d’évaluer, pour mémoire, toutes les dépenses qu’elles assument pour assurer le service public de l’éducation nationale, tant en fonctionnement qu’en investissement. Leurs interventions comprennent notamment l’entretien et la gestion des bâtiments, mais aussi, par exemple, la restauration et le transport scolaires.


Pour tout cela, il n’y a plus d’égalité de traitement entre les familles, et les disparités entre collectivités territoriales sont très importantes.

Je prendrai un seul exemple : il n’y a pas de ramassage scolaire dans les départements très urbains de la métropole parisienne, alors que cette dépense peut être considérable dans les départements ruraux. Elle représente aujourd’hui plus 3 milliards d’euros, et de nombreuses collectivités territoriales ont décidé d’en faire supporter une partie du coût aux familles.


Ayons donc conscience ensemble que l’accès au service public de l’éducation nationale est de moins en moins gratuit et de plus en plus territorialement inégalitaire.


Le budget de la mission « Enseignement scolaire » augmenterait de 1,5 milliard d’euros, ce qui représenterait une hausse de 2,2 % en euros courants, à mettre en regard de l’inflation et, surtout, de l’évolution positive de la démographie.


Cette hausse concerne essentiellement les dépenses du titre 2, c’est-à-dire la masse salariale. La loi de programmation des finances publiques prévoit un net ralentissement de cette augmentation pour les années à venir. Disons-le avec force : après les tentatives de rattrapage du gouvernement précédent, l’actuel gouvernement organise une nouvelle diminution des emplois d’enseignants à partir de 2019, ce dont se félicite d’ailleurs le rapporteur spécial, M. Longuet.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Absolument ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)


M. Pierre Ouzoulias. Le projet de budget pour l’année 2018 n’est donc qu’une parenthèse de stabilité dans un processus de décroissance à venir.


J’utilise à dessein le mot « stabilité », car l’examen attentif du projet de budget fait clairement apparaître que l’essentiel de la hausse acceptée pour 2018 concerne des mesures liées à l’augmentation de la masse salariale entre 2012 et 2016. Elle résulte de la création d’environ 35 500 nouveaux postes sur les 55 000 postes prévus par la loi dite « d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ».


En d’autres termes, il n’y a plus de création nette d’emplois à espérer pour 2018 et les années suivantes. Les dispositifs nouveaux devront être organisés par le biais de redéploiements de postes. Ainsi, l’effort indéniable en faveur de l’enseignement primaire est réalisé uniquement grâce à la suppression d’environ 2 600 postes d’enseignants dans le secondaire et 2 100 postes d’enseignants stagiaires.


En utilisant un mot employé pour d’autres ministères, il faut donc constater que le Gouvernement a décidé de contenir absolument le « format » de l’éducation nationale.


Tel est d’ailleurs le constat du rapporteur spécial, qui fait observer : « La logique quantitative poursuivie sous le précédent quinquennat semble avoir été abandonnée par l’actuel gouvernement au profit d’une gestion plus raisonnée des effectifs ». Il faut entendre par cette délicieuse formule qu’il n’y aura plus de créations de postes et qu’il faudra faire autant, ou plus, avec moins. Nous entrons donc de nouveau dans une période de gestion de la pénurie, et les neurosciences ne vous seront d’aucune utilité, monsieur le ministre, pour mettre devant les élèves des enseignants que vous n’aurez plus…

Là est bien tout le paradoxe de votre projet de budget : vous considérez, à raison, qu’il existe un lien fort entre le nombre d’élèves par classe et les résultats scolaires et dédoublez en conséquence les classes de CP des réseaux d’éducation prioritaire renforcés ; mais, dans le même temps, vous faites porter l’essentiel de la charge de ces mesures nouvelles sur l’augmentation du nombre d’élèves par classe dans les collèges et les lycées.


Cette politique de transfert est d’autant plus préoccupante que l’arrivée de 30 000 élèves supplémentaires est prévue dans les collèges et que de nombreuses classes de lycée présentent aujourd’hui, dans certaines académies, des effectifs supérieurs à trente-cinq élèves.


Par ailleurs, on peut légitiment s’interroger sur votre capacité à mettre en œuvre vos nouveaux dispositifs d’accompagnement des élèves dans un cadre d’emplois aussi contraint et avec la disparition des emplois aidés. Le risque est sans conteste d’assister de nouveau à une dégradation majeure des conditions d’enseignement. Ce n’est pas une bonne chose pour l’éducation nationale, qui doit affronter une grave crise des vocations.


Dois-je rappeler que, cette année, à l’issue du concours du CAPES, quelque 374 postes n’ont pas été pourvus pour l’enseignement des mathématiques, ni 343 pour celui de l’anglais, ni 220 pour celui de l’allemand ? Je finirai cette triste énumération par les lettres classiques, pour lesquelles 63 % des postes ouverts au concours n’ont pas été pourvus…


Dans un contexte de chômage élevé et de réduction des débouchés pour les diplômés de l’enseignement supérieur, cette désaffection est la conséquence de l’appréciation négative portée par la jeunesse sur le métier d’enseignant et les conditions salariales et matérielles de son exercice.


Comme les années précédentes, cette baisse structurelle des emplois statutaires sera compensée par un recours accru aux emplois contractuels, qui atteint dans l’éducation nationale des proportions alarmantes et sur lequel la commission des finances a fort opportunément demandé à la Cour des comptes d’enquêter.


Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.


M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, vous dites vouloir une école de la confiance ; je pense au contraire que vous vous satisfaites d’une éducation nationale fonctionnant en mode dégradé !