Projet de loi de finances pour 2020 : médias, livre et industries culturelles
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le flot déversé à gros bouillons par les plateformes de l’internet, les réseaux dits sociaux et les chaînes d’information en continu a au moins pour avantage de susciter un intérêt croissant pour une information de qualité, des programmes qui parlent à notre intelligence, des confrontations d’idées et le respect du pluralisme de la pensée. Vous me permettrez d’interpréter de la sorte le succès historique du service public de l’audiovisuel, en remerciant les personnels qui l’ont bâti.
Sans procéder à une revue de détail, je mentionnerai, pour l’exemple, les résultats exceptionnels de France Culture. Cette radio a porté, pour la première fois de son histoire, son audience à plus de 1,6 million d’auditeurs, soit une progression de 6 % en un an. Mieux encore, les téléchargements de ses émissions ont augmenté de 18 % en un an, ce qui représente un total de 31 millions d’écoutes à la demande ou une visite journalière pour 600 000 internautes. Enfin, j’ai plaisir à souligner que l’émission Les chemins de la philosophie est téléchargée plus de 3 millions de fois par mois !
Cette réussite sans précédent démontre que le pari de la qualité est toujours gagnant, et que les auditeurs apprécient des contenus exigeants.
L’audiovisuel public contribue pleinement à sa mission de service public : apporter à nos concitoyens les informations, les idées et les connaissances dont ils ont besoin pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et ses évolutions fulgurantes.
Nous cherchons, collectivement, à réduire dans notre société l’empire pernicieux des informations fausses, des préjugés menaçants et des théories complotistes. L’audiovisuel public est l’un des instruments de la riposte, car il a aussi pour mission d’instruire et d’éduquer.
Enfin, je ne cache pas ma fierté devant l’intérêt que suscitent ces programmes à l’extérieur de nos frontières : ils contribuent ainsi au rayonnement de notre langue et de notre culture et apportent à celles et ceux qui subissent la propagande des gouvernements et des médias partisans les éléments d’une pensée critique et non asservie.
Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis. Tout à fait !
M. Pierre Ouzoulias. Pour distinguer pareille réussite et encourager les personnels à poursuivre ce travail essentiel, nous eussions espéré que leur budget fût, à tout le moins, préservé. (Exclamations amusées.) Il n’en est rien...
Ainsi, pour reprendre l’exemple de Radio France, sa dotation sera réduite de 5 millions d’euros l’année prochaine, alors même qu’elle doit financer sa conversion à la radiodiffusion numérique et poursuivre son programme de mise en ligne de ses contenus.
On peut s’interroger sur l’objectif de ce nouveau plan de réduction d’emplois, quand on sait qu’un tiers des personnels de Radio France partiront à la retraite d’ici à 2025. Il est déraisonnable de penser que cette nouvelle saignée n’aura aucune conséquence sur l’offre de programmes ! Comment poursuivre l’engagement pour la qualité, après la suppression de seize postes de réalisateurs et de vingt postes de techniciens ?
Les efforts consentis par les personnels de Radio France, considérables ces dernières années, ont permis à la structure de dégager un excédent d’exploitation l’an passé. La nouvelle purge obéit donc à d’autres finalités : elle est à la fois une méthode de gestion sans ménagement et un moyen de réduire drastiquement et sur la longue durée les moyens publics consacrés à l’audiovisuel, quels que soient les succès d’audience, dont on nous avait pourtant dit qu’ils étaient les objectifs des précédentes réformes.
M. Leleux, rapporteur pour la commission de la culture, parle avec justesse d’un véritable management par le stress budgétaire. Il est acquis qu’un déficit hydrique de la vigne améliore la qualité du vin ; mais les salariés ne sont pas des plantes, et, à trop les pressurer, vous récolterez les raisins de la colère ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Du vinaigre !
M. Pierre Ouzoulias. Ils sont en grève aujourd’hui, et nous les soutenons.
Un sénateur Les Républicains. Dites plutôt « je » !
M. Pierre Ouzoulias. Je dis « nous », parce que nous sommes au moins deux ! (Sourires.)
Dans ce contexte, la baisse d’un euro de la redevance audiovisuelle apparaît comme un moyen de pression supplémentaire. Elle intervient alors que le Gouvernement nous soumettra très prochainement un projet de loi d’ampleur, dont on nous explique qu’il sera pour l’État le moment d’une refondation des objectifs nationaux pour l’audiovisuel public. Le coup de rabot général que subissent tous les budgets pour l’année 2020 paraît d’autant plus violent et incompréhensible qu’il est aveugle et risque de fragiliser des entités déjà en grande difficulté – je pense en particulier à la composante internationale de l’audiovisuel public.
Monsieur le ministre, la transformation de l’audiovisuel public que vous annoncez ne peut être définie ni conduite sans la participation effective des personnels. Elle doit être bâtie sur la confiance. Vous ne pourrez obtenir leur pleine mobilisation, si vous ne leur proposez pas un programme qui donne du sens à leur engagement pour leurs missions de service public.
Au lieu de cela, votre budget pour 2020 leur révèle que la grande réforme à venir s’inscrira, dans tous les cas, dans un processus inflexible de contraction de toute la dépense publique, redevance comprise, et de réduction continue et perpétuelle des moyens et des personnels. C’est pourquoi nous voterons contre la mission !