Loi de finances pour 2019 : recherche et enseignement supérieur
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec une certaine gravité que je porte, au nom des chercheurs, de leurs syndicats et de plusieurs sociétés savantes, devant vous, une grande inquiétude devant le décrochage de la science française.
D’année en année, la part du produit intérieur brut que la France consacre à la recherche ne cesse de diminuer. Elle était de 2,23 % en 2015 et elle devrait être de 2,19 % en 2017.
Non seulement l’objectif ambitieux d’une part de 3 % du PIB s’éloigne inexorablement, mais son écart avec les taux de nos voisins ne cesse de s’accroître. Pour ne prendre que deux exemples, les dépenses de recherche de la Belgique rapportées à son PIB ont dépassé celles de la France en 2012 et ne cessent de progresser ; celles de l’Allemagne se trouvent quasiment au niveau de 3 % du PIB.
Plus grave encore, les dépenses de recherche et développement des industries de la construction spatiale et aéronautique sont en forte baisse, de 3,2 %. Ce désengagement a des conséquences directes sur l’emploi des chercheurs dans ces domaines, en baisse de 1 %. À terme, c’est toute la capacité de recherche et d’innovation de notre pays qui est menacée.
Au XVIe siècle, Jean Bodin affirmait : « Il n’y a richesse, ni force que d’hommes. » La maxime s’applique avec encore plus d’évidence au domaine de la science : il n’y a pas de recherche sans chercheuses et sans chercheurs. Or les opérateurs publics voient leurs effectifs se réduire inéluctablement. Certes, dans les documents budgétaires produits par le Gouvernement, les plafonds d’emplois semblent préservés, mais, pratiquement, ils ne sont jamais atteints et il devient impérieux de nous interroger sur leur sincérité.
Je salue la qualité de l’analyse budgétaire produite par notre collègue Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances. Il montre avec grande précision que le coût des mesures salariales décidées par le Gouvernement n’est jamais intégralement compensé et que les opérateurs de la recherche sont donc obligés de réduire leur masse salariale pour équilibrer leur budget.
Ainsi, pour le CNRS, le coût supplémentaire du financement du seul glissement vieillissement-technicité, le fameux GVT, est évalué, pour le budget de 2019, à 25,3 millions d’euros. Il impose au CNRS de réduire son recrutement de cinquante chercheurs et de le porter à un niveau historiquement bas, qui compromet la crédibilité des concours et, en amont, la pérennité de nombreuses filières de l’enseignement supérieur.
En deux ans, les effectifs du CNRS ont diminué de 375 équivalents temps plein. La baisse est de plus de 1 000 postes depuis 2011.
Je partage totalement ce que fait observer Jean-François Rapin dans son rapport spécial : « Alors que notre pays cherche à attirer des chercheurs, la baisse des effectifs envoie un signal singulièrement négatif. »
J’ajoute que la fuite vers l’étranger est devenue la seule issue possible pour une génération de chercheuses et de chercheurs qui se sent sacrifiée.
Cette saignée a des répercussions sur la capacité de la science française à maintenir son rang. Ainsi, les financements obtenus par les équipes françaises pour le programme-cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne étaient encore de 13,5 % de son montant total, pour le cinquième programme, mais de seulement 11,3 % pour le septième, qui s’est achevé en 2013.
De nombreux autres indicateurs attestent la baisse continue de l’influence de la science française. Je regrette vivement que vous donniez à votre ministère la seule ambition de l’accompagner.
À cet affaiblissement de la capacité d’action des opérateurs publics s’ajoutent des choix stratégiques discutables, qui concentrent davantage les aides apportées à la recherche privée sur un dispositif, le crédit d’impôt recherche, ou CIR, qui mobilise plus de 6 milliards d’euros, pour des résultats que, désormais, la représentation nationale considère comme difficilement quantifiables.
Je note que le nouveau fonds pour l’innovation et l’industrie, destiné à « garantir la souveraineté scientifique et technologique de notre pays et de son développement économique », répond à un modus operandi totalement différent de celui du CIR.
Ses axes stratégiques sont définis par un conseil de l’innovation, ses programmes confiés à des responsables chargés de leur mise en œuvre, chaque action faisant l’objet d’une convention et d’un rendu évalué. C’est le fonctionnement normal adopté par tous les pays pour orienter et maîtriser leurs aides à la recherche privée. Il faut se demander pourquoi il ne s’appliquerait pas au CIR.
Comme la recherche publique, l’enseignement supérieur souffre d’un désinvestissement de l’État dont les conséquences catastrophiques se mesurent notamment sur le taux d’encadrement des étudiants, qui ne cesse de diminuer.
Comme pour les opérateurs de la recherche, les universités sont dans l’impossibilité d’atteindre leurs plafonds d’emplois. Ainsi, pour la période 2013-2016, seuls 76 % des emplois notifiés aux établissements ont effectivement été ouverts au recrutement.
Dans un contexte de forte poussée de la démographie estudiantine, cette contraction ne permet pas d’améliorer l’accompagnement pédagogique, qui était pourtant l’un des objectifs de votre loi pour la réussite des étudiants.
S’agissant de son application, il est très regrettable que votre ministère ne nous ait pas fourni un bilan complet de Parcoursup avant cette discussion budgétaire. Pourtant, les premières données très générales disponibles montrent que les bacheliers des filières techniques et professionnelles ont subi des discriminations sur lesquelles nous aurions souhaité vous entendre.
Madame la ministre, votre budget consacre le renoncement du Gouvernement, il organise une forme de déclin ou d’étiolement accepté. Nous voterons donc contre.