Loi de finances pour 2019 : culture
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, j’entends la satisfaction quasiment générale de nos rapporteurs, qui se félicitent du niveau relativement stable des crédits de la mission « Culture ».
Vous me permettrez de tempérer ce contentement rassuré d’une représentation nationale qui craignait le pire par des inquiétudes relatives au défaut de provisions de ce projet de budget. Autrement dit, je crains que le financement à peu près préservé du fonctionnement courant du ministère n’ait été obtenu qu’au prix d’une sous-évaluation des investissements nécessaires pour assurer la pérennité et le développement de grands équipements ou la restauration de monuments importants, voire de la renonciation à de tels investissements.
Je pense, par exemple, à la Bibliothèque nationale de France, qui doit impérativement trouver une solution pour étendre ses réserves, lesquelles seront saturées en 2023. Je regrette, par ailleurs, que nous ne disposions d’aucun bilan sur l’achèvement des travaux de rénovation du site de Richelieu, sur son affectation future et sur les moyens qui lui seront alloués pour assurer son fonctionnement.
Sur le même front patrimonial, je rappelle ici que nos deux éminents collègues Vincent Éblé et André Gattolin avaient considéré, dans un rapport remis au Sénat l’an passé, qu’il était absolument impératif de mettre en chantier rapidement une extension du centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine pour accueillir les quatre-vingt-dix kilomètres linéaires d’archives du site de Fontainebleau et les dix-sept kilomètres linéaires de versements annuels.
Nos deux estimables collègues considéraient que la première tranche des travaux devait être réalisée en 2023, pour un montant qu’ils évaluaient à quelque 75 millions d’euros. Je n’ai pas trouvé, dans le projet de loi de finances pour 2019, de programmation budgétaire pour ces travaux, et c’est même l’absence de nouveau projet à Pierrefitte-sur-Seine qui vous permet d’expliquer, monsieur le ministre, la forte baisse, de près de 18 %, des crédits des archives...
Outre ces impasses budgétaires, il faut souligner, à la suite du rapporteur spécial Vincent Éblé, l’absence de financement du schéma directeur du centre Pompidou, de la rénovation des toitures du Mont-Saint-Michel, de la façade du Panthéon, etc.
Dans ces conditions budgétaires au mieux imprévoyantes, au pire d’une sincérité amendable, on peut se demander s’il était raisonnable, pour le ministère de la culture, de se lancer dans la restauration très coûteuse du château de Villers-Cotterêts et la future installation dans ses murs d’un centre de la francophonie, qui exigera des moyens de fonctionnement supplémentaires. Je partage l’ambition présidentielle de consacrer plus de moyens à la défense et illustration de la langue française. Néanmoins, il serait fâcheux qu’elles s’accompagnassent (Exclamations amusées et applaudissements.) d’un repli de son usage, notamment dans la communication gouvernementale, au profit d’un sabir empruntant ses formules à l’anglais de la technocratie. Près d’un quart de siècle après la promulgation de la loi relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon », il serait utile de dresser un bilan de ses usages dans les administrations, la science et l’entreprise.
Le château de Villers-Cotterêts devrait devenir un centre de promotion de la langue française. À cet égard, j’aimerais souligner que, en matière de francophonie, nous devons agir avec humilité. Le français, en effet, n’est pas seulement notre langue, mais la cinquième langue la plus parlée dans le monde, avec 274 millions de locuteurs. En 2050, l’Afrique regroupera, à elle seule, 85 % des francophones ! Le futur centre devra donc être ouvert à toutes les cultures francophones.
Soucieux de la cohérence du discours adressé à celles et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études du français et en français, je ne comprends pas, monsieur le ministre, le message très négatif que vous venez de leur envoyer en annonçant la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extérieurs à l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
L’une des grandes opérations de mécanique administrative pour l’année 2019 consiste dans le transfert de la gestion des emplois à trois opérateurs : le Centre des monuments nationaux, l’établissement public du domaine national de Versailles et l’établissement public du musée d’Orsay.
Je signale que l’absence de compensation de l’augmentation de la CSG et du GVT, le glissement vieillesse technicité, aurait coûté 2,2 millions d’euros à la Bibliothèque nationale pour maintenir sa masse salariale. Dans l’impossibilité de trouver ces financements, elle a été obligée de baisser ses effectifs, ce qui risque de dégrader le service.
Comme je suppose que le transfert de la gestion du personnel à ces trois nouveaux établissements publics se fera dans les mêmes conditions budgétaires, je crains vivement qu’il ne produise les mêmes effets… Cette façon de reporter sur les opérateurs la responsabilité des suppressions d’emplois est politiquement discutable et, malheureusement, compromet gravement les conditions du dialogue social à l’intérieur des établissements.
Une cinquantaine d’emplois seront transférés de l’administration centrale vers les DRAC. Si l’on ne peut s’opposer au renforcement des capacités de gestion et d’action des services déconcentrés du ministère de la culture, monsieur le ministre, la séquence difficile au cours de laquelle les moyens juridiques de l’architecte des bâtiments de France ont été considérablement amoindris, sous le regard passif de votre ministère, a montré qu’il était indispensable qu’une instance nationale continue d’assurer l’homogénéité des modes de gestion du patrimoine sur tout le territoire. Or je doute que l’administration centrale de votre ministère ait encore les moyens de cette politique.
Pour toutes ces raisons, et afin de vous alerter sur les risques qui pèsent sur votre ministère, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Culture » !