Création du Centre national de la musique
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’an 303 avant notre ère, Cnæus Flavius, devenu édile curule à la suite d’un conflit avec les patriciens, fit construire un temple à Concordia, sur le Comitium, à Rome. Cette déesse était issue de deux divinités grecques, Ὁμόνοια, dont le nom évoquait la sympathie des cœurs, et Ἁρμονία, qui présidait à la cohésion sociale et aux rapports harmonieux entre les citoyens et dont on tira un mot évoquant l’association heureuse de plusieurs sons.
Ainsi, Concordia protégeait à la fois l’accord des cœurs et l’accord des cordes. Mais, pour réaliser son projet, Cnæus Flavius ne put obtenir d’argent public et se contenta du fruit des amendes imposées aux usuriers. Nous verrons dans la suite de la discussion, monsieur le ministre, si vous n’avez pas agi de même !
C’est sous les auspices favorables de cette même Concordia que le nouveau Centre national de la musique voit le jour, tant cette « maison commune de la musique » était attendue par toute la profession pour renforcer ses capacités d’action, pour s’adapter aux nouvelles modalités d’écoute et pour continuer de développer les pratiques, dans la richesse de leur diversité. L’État participe à la construction de cette nouvelle arche pour soutenir la filière, les créateurs, le rayonnement international de leurs œuvres, mais aussi parce qu’il souhaite confier à ce nouvel établissement un rôle majeur pour déployer les politiques publiques du ministère de la culture dans les territoires.
Je n’apporterai pas de voix discordante à ce concert de bonnes intentions. Indubitablement, il était nécessaire de rationaliser et de renforcer les moyens d’intervention des structures existantes, afin de mieux défendre l’exception culturelle française et de déployer l’égalité des droits culturels dans tous les territoires.
Néanmoins, monsieur le ministre, nous attendons de ce débat qu’il éclaire davantage les projets politiques et les engagements budgétaires par lesquels votre ministère compte accompagner la création et le développement de ce nouveau centre.
Dans son rapport, notre collègue député Pascal Bois, auteur de la présente proposition de loi, considère que la constitution du Centre national de la musique sera l’occasion, pour le Gouvernement, « de se doter d’une stratégie de long terme pour la politique publique de la musique, qui constitue l’une des missions fondamentales du ministère chargé de la culture ». Peut-être le dépôt d’un projet de loi par votre ministère aurait-il été plus approprié pour atteindre cet objectif.
Alors que votre collègue le ministre de l’action et des comptes publics vient d’achever sa tournée des ministères afin de leur demander de réduire leurs budgets pour l’année 2020, nous nous interrogeons sur la capacité de votre ministère à participer au fonctionnement du futur centre national. De l’avis unanime, un apport de 20 millions d’euros est indispensable pour rassurer les membres constitutifs de la future entité et persuader tous les acteurs de la filière que l’État ne profite pas de l’opération pour faire financer des missions par la nouvelle structure sur ses seules ressources propres.
Au fond, nous souhaiterions que vous nous précisiez quelles politiques publiques, dans le domaine de la musique, vos administrations centrales continueront à gérer, et avec quels moyens. La semaine dernière, le Sénat a exprimé ses plus grandes réserves sur la création d’une Agence nationale du sport, qui aura sans doute pour conséquence la disparition du ministère de tutelle.
À ce propos, je citerai le jugement de Jean-Marc Sauvé, grand commis de l’État et secrétaire général du Gouvernement de quatre Premiers ministres successifs : « Depuis une quarantaine d’années, l’État s’est affaibli, moins par le transfert de compétences vers l’Union européenne ou vers les collectivités territoriales que par la réduction de ses capacités et de ses ressources en matière de conception et de stratégie. […] Aujourd’hui, la situation est telle que les grands opérateurs de l’État sont devenus plus puissants et plus experts que les directions des ministères chargées d’exercer leur tutelle. […] L’"agencification" de l’État est aussi un facteur d’affaiblissement des services territoriaux de ce dernier. »
Nos craintes portent aussi sur le financement du Centre national de la musique. Nonobstant vos réponses sur le montant de la subvention de l’État, ce financement sera constitué par l’agglomération de dispositifs déjà existants : la taxe sur les spectacles vivants, pour une large part, les contributions des organismes de gestion collective, dans des proportions qui dépendront de leur implication dans la nouvelle structure, et les crédits d’impôts dont elle recevra la gestion en vue de développer des politiques incitatives.
Je regrette vivement que le Centre national de la musique devienne le seul régisseur de ces crédits d’impôt. Le risque est grand que le Parlement ne dispose plus d’informations sur leurs bénéficiaires et les activités favorisées. Je rappelle que la Commission européenne considère le crédit d’impôt comme une aide d’État compatible avec les règles de la concurrence à la condition expresse qu’il favorise l’émergence de nouveaux talents.
Enfin, en ce qui concerne la taxe sur les spectacles, j’aimerais joindre, en parfaite harmonie, ma voix à celle de notre rapporteur, dont je salue la qualité du travail, pour souligner qu’il s’agit d’une taxe affectée, collectée sur une assiette restreinte, qui devra financer des dépenses beaucoup plus larges. Lors de la discussion budgétaire à venir, il faudra trouver un dispositif plus juste et plus adapté aux nouveaux usages de la musique.