Restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 thermidor de l’an VI de la République, sur le Champ de Mars à Paris, s’ébranla le long convoi des œuvres d’art spoliées par Napoléon lors de sa campagne d’Italie. Dans l’un des nombreux charriots se trouvaient les chevaux de cuivre de la basilique Saint-Marc de Venise. Ces statues auraient été fondues au IVe siècle avant notre ère, dans une île grecque du Dodécanèse, puis installées sur la spina de l’hippodrome de Constantinople et, enfin, disposées, en 1204, par les Vénitiens, sur la porte principale de la basilique Saint-Marc.
Après leur transport à Paris, Napoléon les plaça au sommet de l’arc de triomphe du Carrousel, mais elles furent rendues à Venise par l’Autriche après la chute de l’Empire. Avec elles, les chars transportaient aussi plus de cinq cents tableaux de maîtres. La moitié d’entre eux fut restituée, mais l’autre resta en France pour constituer le cœur des collections du Louvre.
Ainsi va la vie des œuvres, qui passent de main en main et de pays en pays au gré du pouvoir des princes, de la fortune de la guerre et des alliances des États.
M. François Bonhomme. En effet !
M. Pierre Ouzoulias. Celles qui font l’objet du présent projet de loi auraient pu s’inscrire dans cette histoire tumultueuse, mais les circonstances particulières de la conquête militaire de l’Afrique de l’Ouest font de cette restitution une péripétie supplémentaire de notre relation complexe avec notre histoire coloniale.
Par ailleurs, le choix de ces biens culturels, les formes de l’instruction des demandes par les services du ministère de la culture et du musée de l’Armée, les conditions de leur transport et de leur présentation au Bénin et au Sénégal posent de nombreuses questions. Enfin, nous ne comprenons pas comment ces dossiers ont pu, au plus haut niveau, être gérés dans l’ignorance presque totale de l’expérience acquise lors de la restitution des têtes maories et des initiatives fortes défendues par notre collègue la sénatrice Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture du Sénat.
Le 25 septembre 2007, à cette même tribune, à l’occasion du débat sur les accords passés entre la France et les Émirats arabes unis relatifs au musée universel d’Abou Dabi, Mme Rama Yade, alors secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, avait déclaré :…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas une référence !
M. Pierre Ouzoulias. … « Dans ce contexte de mondialisation, le Louvre Abou Dabi constitue un formidable vecteur de rayonnement de l’universalité de la culture et un défi que la France, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations, se devait de relever. »
Dans ce cadre, les musées français ont apporté leur expertise en matière de conception du bâtiment, de gestion des collections et prêté trois cents œuvres. La réussite actuelle de cette institution doit beaucoup à cet investissement majeur et à la qualité du partenariat entre les deux pays. Il est vrai que cet échange a été accompagné par une généreuse participation des Émirats arabes unis de presque un milliard d’euros. L’humanisme n’a pas de prix ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le 28 novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait rappelé que, pour lui, « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». (M. François Bonhomme s’exclame.) Partant de ce constat, il concluait à la nécessité de renouveler le dialogue franco-africain pas la construction d’un projet commun. Il considérait, à raison, que la culture devait en constituer un chapitre essentiel et souhaitait que les restitutions du patrimoine africain s’organisassent rapidement dans ce cadre. (Sourires.)
La forme juridique adaptée de ce partenariat aurait dû être, à l’imitation des accords pour le Louvre d’Abou Dabi, un traité international. Le Conseil d’État, dans son avis, a considéré que, dans le cadre de l’article 53 de la Constitution, le transfert de propriété aurait pu être organisé par un accord international.
Ce traité aurait eu l’avantage de préciser les engagements de la France, au titre de l’aide au développement, pour le financement du transport des œuvres, la construction des installations qui vont les accueillir et l’instauration des échanges indispensables entre les institutions patrimoniales des pays. Il aurait pu aussi organiser le prêt aux musées africains d’œuvres symboliques du patrimoine français.
Défendre l’universalité de l’art exige de notre pays des actions volontaires afin de faciliter la circulation des œuvres par un double processus de reconnaissance. Aimé Césaire disait : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”. Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. »
Je regrette vivement que les présentes restitutions n’aient pas porté cette double ambition.