Mon intervention générale lors de l'examen en séance sur le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Chers collègues,
Le texte que nous examinons ce jour est le premier d’une série de trois lois destinées à donner un cadre à des restitutions qui n’exigeront plus le vote par le Parlement de dispositifs législatifs ad hoc. Un débat préalable aurait peut-être été utile pour dégager les principes du dessaisissement du Parlement par lui-même, car, il faut le rappeler, le domaine public mobilier est doublement protégé au titre du code général de la propriété des personnes publiques et du code du patrimoine.
C’est pour cette raison que le Gouvernement, lors du dépôt de la loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, en juillet 2020, n’avait pas souhaité mettre en œuvre une loi de principe. Selon lui, elle aurait pu être censurée pour l’incompétence négative du législateur et aurait été un « obstacle pour effectuer des restitutions […] pourtant souhaitables ».
Le Gouvernement a finalement considéré que ce risque juridique dirimant pouvait être contourné par le dépôt de trois lois. Il serait de bonne politique qu’elles obéissent à des objectifs similaires. Le premier serait celui de la collégialité et de la publicité de l’instruction des restitutions. En l’occurrence, elles sont assurées par la collaboration d’une mission de recherche chargée du récolement des œuvres et de la constitution des dossiers scientifiques et d’une commission administrative indépendante. En second lieu, il resterait à définir les modalités de l’information du Parlement qui ne peut être totalement exclu de procédures qui touchent à la domanialité publique. Le décret d’organisation de la commission placé auprès du Premier ministre répondra sans doute à cette attente.
Sur ces deux points, je vous le dis sans détour, Madame la ministre, le rapport rendu par Monsieur Martinez est décevant. La constitution, au cas par cas, de groupes de travail formés d’experts bilatéraux nommés par leurs Gouvernements ne peut apporter les mêmes garanties d’impartialité qu’une commission indépendante et pérenne. Par ailleurs, je doute que le Parlement se satisfasse d’une information annuelle donnée par le Gouvernement à la commission de la culture. Lors des débats à venir, il conviendra donc de nous demander si les attributions de la commission instituée par le présent projet ne pourraient pas être étendues à d’autres objets.
Les conditions de restitution doivent être d’autant plus irréprochables qu’elles concernent des biens qui ont été collectés dans des périodes troublées de notre histoire nationale et qu’ils constituent, au-delà de leurs qualités artistiques, des témoignages bouleversants du destin dramatique des personnes auxquelles ils ont été arrachés par la violence, la spoliation institutionnelle et le dol.
Ainsi, le texte dont nous débattons n’est pas seulement technique. Il porte, pour la première fois depuis 1945, une reconnaissance législative des spoliations antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie et l’État français. La voie a été ouverte par le Président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995 lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’hiv’. Rappelons-en les termes, je le cite : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ».
Près de trente ans après cette déclaration, nous allons, chers collègues, poursuivre cet effort en identifiant clairement dans la loi la responsabilité spécifique de l’État français. Sauf à engager une coupable opération négationniste, il est en effet acquis que l’État français a mis en œuvre, de son propre chef et avec l’aide de l’occupant nazi, une entreprise de persécution, de spoliation des Juifs de France, citoyens français, ou des Juifs immigrés dans notre pays dont le but ultime fut leur déportation et leur extermination. Cette politique antisémite est au cœur de la « révolution nationale » voulue par Pétain. Elle fonde le programme de l’extrême droite française depuis Maurras et l’Action française dont deux milles de ses nostalgiques ont défilé avec les mêmes cris de haine que les ligues factieuses de 1934.
Ces crimes antisémites sont des crimes contre l’humanité. Ils sont imprescriptibles. En votant cette loi, nous affirmons solennellement la volonté de la Nation d’œuvrer perpétuellement pour les identifier, les dénoncer et en tenter une compensation matérielle par la restitution.