Discussion générale
Madame/Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,
Citant le Mikrokosmos de Hermann Lotze, Walter Benjamin pensait qu’il ne peut y avoir de progrès s’il n’est pas rendu justice à ceux qui ont souffert dans le passé, car il faut, de façon presque mystérieuse, satisfaire les attentes des générations passées. Les œuvres que ce projet de loi propose de restituer font resurgir dans cet hémicycle les souffrances endurées par Eleonore Stiasny, Armand Dorville, Georges Bernheim, David Cender, leurs familles et tous les Français et les étrangers de confessions juives qui ont connu la persécution. « Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous », disait Gérard de Nerval.
Alors que les idéologies anti-judaïques jaillissent de nouveau du ventre encore fécond de la bête immonde, rappelons, trop brièvement, pour le sujet qui nous concerne, ce qu’ont été les persécutions commises par l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État français dirigée par le maréchal Pétain. Dès le 22 juillet 1940, la collaboration prononce la déchéance de nationalité des Français qui ont été naturalisés depuis la loi du 10 août 1927. Plus de 6 000 Français de confession juive sont ainsi privés de leur nationalité et deviennent apatrides. Le commissariat général aux questions juives est créé le 29 mars 1941. L’une de ses missions est de procéder à la liquidation des biens des citoyens français considérés comme juifs par le Gouvernement de Pétain. Ainsi, le second statut des Juifs du 2 juin 1941 interdit aux Français de confession juive toutes les professions en relation avec le commerce. Les fonds des galeries d’art sont expropriés et confiés à des administrateurs provisoires. La loi du 22 juillet 1941 va encore plus loin et organise l’éradication de toute « influence juive dans l’économie ». Plus de la moitié des galeries d’art parisiennes subissent ces lois d’exception. Des administrateurs provisoires sont chargés de vendre leurs biens ou de liquider les sociétés.
De nombreuses œuvres sont saisies par l’occupant allemand, mais la plupart sont écoulées sur un marché de l’art qui n’a jamais été aussi prospère. L’Hôtel Drouot est fermé dès l’été 1940, mais avant la fin de la même année, ses gestionnaires obtiennent la réouverture des ventes, aux conditions fixées par la Kommandantur. Les acheteurs sont les autorités d’occupation, les musées allemands, des particuliers qui blanchissent des revenus tirés du marché noir, mais aussi des musées publics dont celui du Louvre. Dans un article de l’hebdomadaire Action du 9 novembre 1945, l’homme de lettre et résistant Jean Dutour a dénoncé ce pillage organisé : « Les Juifs étaient volés de deux façons ; ou le commissaire-gérant vendait à l’encan les biens qu’il était chargé d’administrer, ou bien l’on pillait les gardes-meubles », il ajoute : « les Allemands ont emporté pour 500 milliards d’œuvres. Ils furent beaucoup aidés dans cette belle opération par des experts, des commissaires-priseurs et des marchands français ».
Chers collègues, comme nous y invite la rapporteure la Sénatrice Béatrice Gosselin, dont je salue la qualité du travail, cette loi est la première qui restitue des œuvres conservées dans des collections publiques, mais acquises hors du cadre de la légalité républicaine. Elle porte aussi, comme le dit la Sénatrice Béatrice Gosselin, reconnaissance et réparation des « spoliations dont le régime de Vichy s’est rendu coupable ».
J’ajoute que le Parlement de la République française n’a jamais reconnu par la loi les exactions commises par le Gouvernement du maréchal Pétain. L’ordonnance prise le 21 avril 1945 a frappé de nullité tous ses actes, mais il a fallu attendre le discours du Président Jacques Chirac, du 16 juillet 1995, pour que la France admette sa responsabilité dans la déportation de 76 000 personnes, dont 11 000 enfants. Seul le Conseil d’État, par sa décision du 16 février 2009, lui a donné une base juridique tout en demandant à l’État de la reconnaître solennellement.
Par une loi définitivement adoptée ce jour, la Nation a reconnu sa responsabilité pour l’indignité faite aux harkis et à leur famille lors de leur accueil en France. Il est du devoir de la Nation de reconnaître, par la loi, la culpabilité de la France pour la déportation et la spoliation des personnes de confession juive. Le Gouvernement souhaite proposer au Parlement une loi-cadre pour faciliter les futures restitutions. Cette reconnaissance législative doit en être le préalable absolu.
Quinze œuvres vont retrouver les familles auxquelles elles ont été arrachées par une violence d’État responsable du pire génocide de notre histoire. Ces œuvres sont les témoins de leurs souffrances. Elles rappellent aussi la faillite de la démocratie et le suicide de la République. N’oublions pas.
Seul le prononcé fait foi.