Fondation du patrimoine (deuxième lecture)
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Fondation du patrimoine a été conçue en juillet 1996 avec la volonté politique assumée de créer un outil expérimental qui puisse suppléer l’action publique par le recours à la mobilisation de l’activité de bénévoles, au mécénat d’entreprise et à la générosité privée. La Fondation demeure aujourd’hui un hapax : c’est le seul organisme privé indépendant à but non lucratif dont le statut est fixé par la loi et dont le financement repose, en grande partie, sur une recette domaniale de l’État qui n’est pas soumise au contrôle budgétaire du Parlement.
À la fin du précédent millénaire, dans l’euphorie des réflexions alors menées sur la réforme de l’État, la Fondation du patrimoine devait être le laboratoire de la collaboration heureuse entre partenaires publics et privés et constituer ainsi un utile auxiliaire de l’État dans son action en faveur du patrimoine rural non protégé. Elle était mise en parangon avec le National Trust britannique, qui est aujourd’hui fort de 4 millions d’adhérents, d’un demi-milliard d’euros de budget annuel et de 5 000 salariés.
Vingt-cinq ans plus tard, ce dessein novateur a été oublié et ce projet ambitieux apparaît comme une chimère. La Fondation du patrimoine ne compte que 6 000 adhérents et dispose d’un budget de 32 millions d’euros. Ses membres espérés et jamais venus ont finalement été remplacés, plus adéquatement, par les acheteurs d’un billet du loto du patrimoine. Comme le souligne la Cour des comptes, la Fondation du patrimoine n’a jamais encouragé l’adhésion directe des personnes physiques, estimant qu’elle n’aurait pas les moyens d’assurer l’organisation et la promotion du réseau qu’elle aurait pu constituer.
Par ailleurs, dépourvue des ressources privées qu’elle espérait, la Fondation du patrimoine a finalement été sauvée, en 2003, par l’affectation d’une fraction du produit des successions appréhendées par l’État pour cause de déshérence. Cette ressource erratique représentait, en 2010, 40 % de ses revenus. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2013, souligne justement que cette recette domaniale de l’État échappe au contrôle du Parlement, en contradiction avec l’article 51-1 de la loi organique relative aux lois de finances, qui fait obligation au Gouvernement d’informer le Parlement des recettes publiques affectées à des personnes morales autres que l’État. À tout le moins, madame la ministre, il serait légitime que le Gouvernement satisfît à cette obligation législative à l’occasion de la prochaine discussion budgétaire.
Cet apport d’argent public a certes permis à la Fondation du patrimoine de développer les actions qui étaient sa raison d’être, mais il a eu pour autre conséquence de complexifier ses rapports avec l’État, qui lui a demandé en échange de prendre à sa charge des politiques publiques qu’il ne pouvait plus financer ou organiser. L’ambiguïté de cette relation a été révélée au public lorsque la Fondation a décidé de suspendre sa collecte de fonds en faveur du chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Votre prédécesseur, madame la ministre, avait alors fait part à notre commission de sa perplexité devant cette décision. Elle était pourtant parfaitement légitime, venant d’un organisme dont l’indépendance a été voulue par sa loi fondatrice, mais n’en posait pas moins la difficile question de la relation entre l’État et la Fondation.
La présente proposition de loi porte modification du gouvernement de la Fondation du patrimoine et prend ainsi acte de l’évolution de son fonctionnement par rapport au projet d’origine. La mesure est de bon sens ; on peut néanmoins se demander s’il est pertinent de continuer à fixer dans la loi les statuts d’un organisme dont la pratique s’est sensiblement écartée des missions qui lui avaient été assignées en 1996.
Dans son rapport d’information du 25 juillet 2002, notre ancien collègue sénateur Yann Gaillard estimait que la Fondation du patrimoine devait « avoir un rôle pilote dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine dit “non protégé” ». C’est pourquoi il avait souhaité, au nom de la commission des finances, la doter de ressources budgétaires pérennes.
La Fondation du patrimoine a parfaitement accompli cette nouvelle mission, à proportion des moyens mis à sa disposition. Toutefois, cette évolution aurait dû être accompagnée d’une réflexion d’ensemble sur les objectifs et les moyens d’une politique nationale en faveur du patrimoine rural non protégé. Déjà, en 1987, dans le cadre de la mission Patrimoine 2000, Serge Antoine soulignait que le patrimoine rural avait été l’oublié d’une société ingrate à l’égard de ses agriculteurs. Trente-cinq ans plus tard, le constat reste d’actualité. Il devient impérieux de nous demander quel futur nous voulons pour ce patrimoine.