Débat préalable au Conseil européen
Ouvrant officiellement, en quelque sorte, la campagne de l’élection européenne prochaine, le président de la République vient de publier une adresse à destination des peuples des États de l’Union dans laquelle il déclare : « Nous sommes à un moment décisif pour notre continent ; un moment où, collectivement, nous devons réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation dans un monde qui se transforme. C’est le moment de la Renaissance européenne ». Il ajoute : « Le modèle européen repose sur la liberté de l’homme, la diversité des opinions, de la création. Notre liberté première est la liberté démocratique, celle de choisir nos gouvernants ». Et pour défendre cette liberté démocratique, le président de la République propose la création d’une Agence européenne de protection des démocraties.
J’y suis personnellement très favorable et je pense que sa tâche serait considérable tant les atteintes aux libertés sont nombreuses dans une Union dont le projet était de se donner une base démocratique inaliénable. Pour la première fois de son histoire, le Parlement européen a adopté, le 17 mai 2017, une résolution pour dénoncer une « grave détérioration de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux » en Hongrie. Il a demandé, le 12 septembre 2018, contre ce pays, l’engagement des procédures prévues par l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, de la même façon qu’il avait requis l’ouverture de cette procédure contre la Pologne le 26 juillet 2017.
Quand il s’agit de dénoncer les manquements graves aux valeurs démocratiques de l’Union, nos regards se portent facilement vers l’est de l’Europe, peut-être parce que nous pensons, avec parfois un peu de condescendance, que l’exercice de la démocratie dans ces pays n’est peut-être pas encore totalement abouti. Nous avons beaucoup plus de réticences à dénoncer ces transgressions quand elles se manifestent plus près de nous et, en ce moment, de l’autre côté des Pyrénées.
Depuis le 12 février dernier se tient à Madrid, devant le Tribunal suprême, le procès de douze personnes, dont plusieurs d’entre elles ont été élues démocratiquement et certains sont des collègues parlementaires ou des ministres d’un gouvernement légitime. Ils et elles sont poursuivis pour rébellion, sédition, désobéissance, malversation et risquent de sept à vingt-cinq ans de prison.
Le chef d’inculpation de rébellion n’avait plus été retenu par un tribunal espagnol depuis la tentative de coup d’État perpétrée par le lieutenant-colonel Tejero le 23 février 1981. Nous avons toutes et tous en tête ces images terribles de militaires de la garde civile pénétrant dans le Congrès des députés pour y interrompre un vote, par les armes.
Aux douze inculpés du procès de Madrid, il est reproché d’avoir organisé le référendum du 1er octobre 2017. J’ai aussi en mémoire ces images de gardes civils s’emparant d’urnes par la force et ma conscience, peut-être naïve, de démocrate, m’oblige à me demander comment il est possible que ceux qui ont organisé pacifiquement un scrutin puissent être accusés des mêmes délits que ceux qui ont combattu la démocratie.
En aucun cas, je ne me prononcerai sur la question de l’indépendance de la Catalogne, car je pense qu’il appartient aux Catalans et aux Espagnols de trouver une solution politique à ce problème politique. Mon intervention ne porte que sur le respect des droits de la défense et sur la conformité des procédures pénales aux valeurs démocratiques européennes rappelées en préambule. Sachez, chers collègues, que les décisions du tribunal suprême sont définitives et sans recours, que sa composition n’obéit pas à des règles d’indépendance puisque ses membres ont été nommés par le pouvoir de la précédente majorité et enfin que l’accusation publique est secondée, au titre de l’accusation populaire, par un membre du parti d’extrême-droite Vox dont l’objectif politique revendiqué est de « suspendre l’autonomie de la Catalogne jusqu’à la défaite des putschistes ». Cette déclaration d’un parti ouvertement nostalgique de la dictature du général Franco marque bien le caractère éminemment politique du procès en cours.
J’ai déjà évoqué, à plusieurs reprises, devant vous Madame la Ministre et mes chers collègues, le dossier de la Catalogne. Vous m’aviez opposé le principe de non-ingérence. Par prolepse, j’aimerais vous montrer que le procès en cours ne concerne plus seulement la Catalogne et l’Espagne, mais l’Europe dans son ensemble.
En demandant l’extradition de Carles Puigdemont, le gouvernement espagnol a obligé la juridiction d’un autre État membre de l’Union européenne à se prononcer sur les procédures judiciaires en cours. Ainsi, le tribunal régional supérieur du Schleswig-Holstein, répondant à cette demande d’extradition, a considéré que l’infraction pénale de « rébellion » n’était pas recevable, conformément au droit allemand.
L’expérience tragique de l’Allemagne lui inspire une grande méfiance des lois d’exception et de l’usage qu’il peut en être fait contre la démocratie. Son code pénal fait une distinction essentielle entre la vis absoluta, qui consiste en une contrainte corporelle directe, et la vis compulsiva, qui est une action exercée sur la volonté. Ce principe juridique est inconnu du droit espagnol. Dans son jugement, le tribunal régional supérieur du Schleswig-Holstein a estimé que les faits qualifiés par les tribunaux espagnols d’infraction de rébellion ne pouvaient l’être de la même façon sur le territoire allemand, conformément au droit pénal allemand.
L’espace juridique européen est fondé sur la reconnaissance mutuelle de principes juridiques communs : la protection des droits fondamentaux, l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En l’occurrence, le procès politique en cours à Madrid devrait nous inciter à prendre conscience du fait que l’harmonisation de cet espace juridique est bien imparfaite. Au nom de nos valeurs communes, nous devons intervenir pour que les droits de nos collègues parlementaires jugés à Madrid soient respectés selon les principes dont nous nous réclamons.
Le Président de la République nous demande de « réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation ».
Posons alors ensemble les bases d’une citoyenneté européenne qui garantisse les mêmes droits dans tous les pays de l’Union, et à Madrid, en ce moment, le respect d’un procès impartial et équitable.
Pour le respect des libertés et des droits fondamentaux en Catalogne
Issus de différents groupes politiques de la Haute Assemblée, 41 sénateurs signent un appel au respect des droits fondamentaux en Catalogne. Ils demandent des solutions politiques au niveau européen, dénonçant « les répressions dont sont victimes des élus légitimes, représentants politiques de la Generalitat de Catalogne emprisonnés ou forcés à l’exil pour leurs opinions dans l’exercice des mandats que leur ont confiés les électeurs ».
« Notre pays est voisin de l’Espagne et de sa grande Région, La Catalogne, avec qui nous partageons une longue histoire.
En tant qu’européens et en tant que français, nous nous sentons concernés par les événements graves qui se sont déroulés en Catalogne. Au moment où se déroule le procès devant le Tribunal supérieur espagnol d’anciens membres du Gouvernement régional catalan, de l’ancienne Présidente du Parlement catalan et de responsables associatifs catalans, nous, membres du Sénat de la République :
demandons le respect des libertés et des droits fondamentaux en Catalogne, sans bien sûr s’immiscer dans les problèmes politiques d’un pays voisin et sans prendre parti sur le sujet de l’indépendance de la Catalogne ;
dénonçons les répressions dont sont victimes des élus légitimes, représentants politiques de la Generalitat de Catalogne emprisonnés ou forcés à l’exil pour leurs opinions dans l’exercice des mandats que leur ont confiés les électeurs ;
constatons que cette situation est une véritable atteinte aux droits et aux libertés démocratiques ; regrettons que la gravité de cette situation soit sous-estimée dans notre pays ; demandons que la France et les pays de l’Union européenne interviennent pour rétablir les conditions du dialogue afin de trouver des solutions politiques à un problème politique ».
Ce texte est à l’initiative de François CALVET, Michel CANEVET, Ronan DANTEC, André GATTOLIN, Pierre OUZOULIAS et Simon SUTOUR.
Signataires :
Michel AMIEL, Sénateur des Bouches du Rhône
Cathy APOURCEAU-POLY, Sénatrice du Pas de Calais
Eliane ASSASSI, Sénatrice de Seine Saint Denis
Esther BENBASSA, Sénatrice de Paris
Maryvonne BLONDIN, Sénatrice du Finistère
Éric BOCQUET, Sénateur du Nord
Martial BOURQUIN, Sénateur du Doubs
Michel BOUTANT, Sénateur de la Charente
Céline BRULIN, Sénatrice de Seine-Maritime
François CALVET, Sénateur des Pyrénées-Orientales
Michel CANEVET, Sénateur du Finistère
Laurence COHEN, Sénatrice du Val de Marne
Pierre-Yves COLLOMBAT, Sénateur du Var
Cécile CUKIERMAN, Sénatrice de la Loire
René DANESI, Sénateur du Haut-Rhin
Ronan DANTEC, Sénateur de Loire-Atlantique
Marc DAUNIS, Sénateur des Alpes-Maritimes
André GATTOLIN, Sénateur des hauts de Seine
Fabien GAY, Sénateur de Seine Saint Denis
Guillaume GONTARD, Sénateur de l’Isère
Michelle GREAUME, Sénatrice du Nord
Claude HAUT, Sénateur du Vaucluse
Jean-Michel HOULLEGATTE, Sénateur de la Manche
Sophie JOISSAINS, Sénatrice des Bouches du Rhône
Gisèle JOURDA, Sénatrice de l’Aude,
Antoine KARAM, Sénateur de Guyane
Joël LABBE, Sénateur du Morbihan
Pierre LAURENT, Sénateur de Paris
Marie-Noëlle LIENEMANN, Sénatrice de Paris
Didier MARIE, Sénateur de Seine-Maritime
Marie MERCIER, Sénatrice de Saône et Loire
Michelle MEUNIER, Sénatrice de Loire-Atlantique
Pierre OUZOULIAS, Sénateur des Hauts de Seine
Angèle PREVILLE, Sénatrice du Lot
Christine PRUNAUD, Sénatrice des Côtes d’Armor
André REICHHARDT, Sénateur du Bas-Rhin
Pascal SAVOLDELLI, Sénateur du Val de Marne
Simon SUTOUR, Sénateur du Gard
Sophie TAILLE-POLIAN, Sénatrice du Val de Marne
Rachid TEMAL, Sénateur du Val d’Oise
Jean-Claude TISSOT, Sénateur de la Loire.