Régime d’ouverture des établissements privés hors contrat
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a suscité des passions irrationnelles et des oppositions violentes qui ne se sont pas toujours développées dans des formes très démocratiques. C’est regrettable ! Il est grand temps de revenir à l’essentiel, au droit, et j’espère que notre débat contribuera à une appréhension plus rationnelle de la situation des établissements d’enseignement hors contrat. Une discussion sur le fond aura l’avantage de nous imposer le respect de la laïcité et donc de ne pas juger a priori les motivations pédagogiques, philosophiques ou religieuses des personnes ou des organismes qui souhaitent ouvrir, hors contrat, des établissements d’enseignement.
La Constitution reconnaît la liberté d’enseignement, mais ce droit ne s’exerce pas en dehors de tout cadre légal. Je pourrais réduire ce principe en disant que la liberté de circulation n’empêche pas le code de la route.
Le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantit « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». L’obligation d’instruction se réalise donc selon des normes générales que la loi définit assez précisément. L’article L. 131-1-1 du code de l’éducation dispose ainsi : « Le droit de l’enfant à l’instruction a pour objet de lui garantir, d’une part, l’acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d’autre part, l’éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d’exercer sa citoyenneté ».
Cette obligation d’une instruction répondant à des principes généraux s’applique aussi dans le cadre familial, quand les parents décident d’organiser eux-mêmes l’éducation qu’ils souhaitent donner à leurs enfants. Un décret de 2012 en a précisé les modalités.
Dans le même esprit, pour les établissements hors contrat, le décret du 28 octobre 2016 a défini les compétences attendues des élèves et la manière dont elles sont évaluées. L’article R. 131-13 du code de l’éducation précise ainsi : « Le contrôle de la maîtrise progressive de chacun des domaines du socle commun est fait au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire… »
À la suite d’un recours, ce décret a été examiné et validé par le Conseil d’État. Il ne faudrait pas que la loi votée par notre assemblée abolisse ou atténue la portée de ces dispositions de bon sens. De même, notre travail législatif serait préjudiciable s’il avait pour conséquence d’intégrer dans le domaine de la loi des dispositions qui, aujourd’hui, relèvent de la réglementation. La sécurité juridique n’impose pas d’encombrer la loi de dispositions relevant de normes inférieures, bien au contraire.
Restons donc dans le cas particulier du régime d’ouverture des établissements hors contrat, qui dépend, cela a été dit, de textes anciens et d’application difficile, notamment pour les maires qui doivent gérer, sans outil juridique efficace, des situations parfois complexes. Légiférons donc, chers collègues, avec le double objectif de leur être utiles et de ne pas mettre à bas l’ensemble des dispositifs qui assurent déjà le contrôle de ces établissements.
Ce fut le dessein d’un cavalier législatif justement sanctionné par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 janvier 2017, sur la seule base de l’article 38 de la Constitution, celui-ci refusant d’examiner, sur le fond, les griefs des requérants.
L’imperfection juridique demeurant, la présente proposition de loi tente d’y apporter une solution, et je porte au crédit de Mmes Françoise Gatel et Annick Billon d’avoir poursuivi initialement ce seul but. Le texte qui nous est proposé, dans sa version amendée par notre commission, est le résultat d’un compromis qui tente de concilier la nécessité d’un contrôle renforcé et la défense du droit à l’enseignement qui va au-delà de ce que les textes garantissent déjà de façon satisfaisante et en conformité avec nos principes constitutionnels.
Comme tout compromis, il ne satisfera pleinement personne, et je crains que le régime déclaratif qu’il propose ne s’avère, à l’usage, pas aussi efficient que les acteurs du terrain auraient pu le souhaiter. Je continue de penser que l’avantage d’autoriser un établissement, quel qu’il soit, est justement de pouvoir lui retirer cette autorisation en fonction de règles connues et d’observations clairement établies et contestables devant les juridictions administratives.
Au-delà de ce problème de droit restera la question entière des moyens. Contre les opérations d’endoctrinement, les conditions d’enseignement indignes et les risques de sévices, la seule politique efficace consiste à renforcer considérablement les capacités d’inspection de ces établissements par les services de l’éducation nationale. Sur ce point précis, monsieur le ministre, nous attendons de votre part des engagements fermes sans lesquels le dispositif que nous allons instituer par la loi, quelle que soit sa nature, sera inopérant.