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Le régime dérogatoire des algorithmes locaux enfin vidé de sa substance

ParcourSup


Par la décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020 sur ParcourSup, le Conseil constitutionnel demande à « chaque établissement de publier (...) les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen ».


Lors de la discussion de la loi sur l’Orientation et la réussite des étudiants (ORE), par un amendement déposé en séance, au Sénat, par la ministre chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, le Gouvernement a institué un système dérogatoire au principe général de communication des documents administratifs en réservant au seul candidat le droit d’être informé sur les critères de sélection de sa candidature dans le cadre de la procédure Parcoursup et plus particulièrement des algorithmes de tri des dossiers (article L. 612-3 du code de l’éducation).


J’avais contesté en séance la création de ce régime dérogatoire. La ministre m’avait alors répondu que « la publication des algorithmes [était] inscrite dans la loi » et que les critères des « outils d’aide à la décision spécifiques à un établissement ou à une formation, définis à l’échelon local [...] devront être connus, y compris pour les outils de type fichier Excel ».


Dès le 3 avril 2018, c’est-à-dire moins d’un mois après la promulgation de la loi, j’avais saisi le Comité scientifique et éthique de la plateforme Parcoursup pour demander des informations sur l’utilisation et la communicabilité des outils « d’aide à la décision » que j’avais ensuite qualifiés d’algorithmes locaux. Sans réponse, j’avais saisi ensuite la ministre chargée de l’enseignement supérieur, la Commission d’accès aux documents administratifs, le Défenseur des droits et plusieurs universités pour obtenir la communication de ces « algorithmes locaux ».


À toutes ces demandes, le ministère chargé de l’enseignement supérieur a opposé une fin de non-recevoir, la ministre soutenant, encore le 27 mars 2019, lors de son audition par la commission de la culture du Sénat, que « les algorithmes locaux n’existent pas ». Pourtant, toutes les institutions qui ont eu à donner un avis sur ce dispositif, à la fois dans sa définition juridique et dans son application pratique, ont demandé une publication de ces outils afin d’assurer la transparence de Parcoursup. Ainsi, on peut citer : le Défenseur des droits, la CNIL, la CADA, la Commission européenne, le comité de suivi de la loi ORE et la Cour des comptes.


À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée devant le Conseil d’État par l’UNEF, le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision sur ce régime dérogatoire (Décision 2020-834 QPC). Les Sages ne le censurent pas, mais émettent une réserve majeure à son application. Ils considèrent que « l’absence d’accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d’examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l’article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Ils demandent donc à « chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen ».


Cette décision me donne totalement satisfaction en reconnaissant l’existence des « algorithmes locaux » et en demandant aux universités de les publier au terme de la procédure Parcoursup, c’est-à-dire, cette année, dès le 19 mai.


En obligeant les universités, mais aussi tous les établissements de l’enseignement supérieur, à rendre publics les critères de sélection des dossiers de candidatures, le Conseil constitutionnel permet à l’UNEF et aux syndicats d’enseignants d’en prendre enfin une connaissance globale et éventuellement de déférer devant les juridictions administratives les décisions des commissions d’examen des vœux qu’ils jugeraient discriminatoires. Ainsi, par exemple, les pratiques de pondération des notes du contrôle continu en fonction du rang de classement des lycées vont pouvoir être connues et dénoncées.


Personnellement, je déposerai prochainement, au Sénat, une proposition de loi pour supprimer le régime dérogatoire de Parcoursup que le Conseil constitutionnel a maintenant vidé de sa substance.


Lors de l’audience publique du Conseil constitutionnel du 10 mars dernier, l’avocat de la Conférence des présidents d’université avait considéré que la publication de ces critères ferait « exploser le dispositif ». Je partage son avis et je pense qu’il est maintenant impératif de revoir les principes de Parcoursup. Le Gouvernement avait mis à profit le légitime émoi de l’opinion suscité par le tirage au sort institué par le dispositif APB en imposant à la hussarde une loi qui devait organiser une procédure totalement transparente et non sélective. Après la décision des Sages, la loi ORE apparaît pour ce qu’elle est vraiment, une loi qui organise la sélection pour l’entrée à l’université et qui donne toute latitude à ses dirigeants pour en organiser les modalités dans une opacité défendue par le Gouvernement.


Après la décision du Conseil constitutionnel sur les droits d’inscription à l’université et le rappel de la nature constitutionnelle du service public de l’enseignement supérieur, cette nouvelle décision sanctionne une activité législative du ministère qui prend beaucoup de liberté avec la constitution. La réformation néo-libérale de l’enseignement supérieur se voit ainsi endiguée par la Déclaration de 1789 et le préambule de la constitution de 1946. Il est temps de construire une université républicaine au service de l’émancipation de la nation.


Voir la décision du Conseil constitutionnel