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Parcoursup apparait comme un instrument de gestion de la pénurie

Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup


Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 janvier prochain, les lycéennes et les lycéens ouvriront un dossier sur Parcoursup et commenceront à y déposer leurs vœux.


Cette plateforme a été remaniée par rapport à celle de l’an passé et plusieurs modalités d’instruction de la procédure ont considérablement évolué.


Nous regrettons vivement que ce remaniement d’ampleur de Parcoursup ait été décidé et réalisé sans qu’un bilan complet de sa première année de mise en œuvre nous ait été présenté.

Nous apprenons, par la presse, les modifications majeures apportées à un dispositif qui va toucher près de 900 000 personnes. Une nouvelle fois, nous sommes mis devant le fait accompli.


Je vous rappelle que la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants exige de votre ministère, au mois de décembre de chaque année, un bilan détaillé par académie de la procédure nationale de préinscription.


Par ailleurs, le comité éthique et scientifique de la plateforme Parcoursup, qui doit remettre son rapport au terme de la session de la procédure nationale, vient aujourd’hui de le rendre public, après le lancement de la nouvelle session et l’annonce des modifications apportées à la procédure.


Hier a été lancé le grand débat national dont l’objet est de « consulter » les citoyens, de « rendre la participation citoyenne plus active [et] la démocratie plus participative ».


Vous avez déclaré que la plateforme était avant tout au service des candidats. Aussi, nous déplorons profondément que vous n’ayez pas consulté l’ensemble des usagers de ce service pour leur demander leur avis. L’analyse de leur expérience était d’autant plus nécessaire que l’absence de hiérarchisation des vœux ne permet pas d’évaluation qualitative du dispositif.


L’article 24 de la Constitution a confié au Parlement la mission de voter la loi, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Le Sénat l’exerce avec objectivité, mais détermination. C’est peut-être ce qui lui est aujourd’hui reproché et qui pousse d’aucuns à en demander la transformation.


Fort de cet esprit de responsabilité, le groupe CRCE, dans le cadre de la semaine de contrôle du Sénat, a demandé l’organisation du présentdébat.


La loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants n’est pas un texte technique destiné à pallier les dysfonctionnements du portail APB – Admission post-bac – et à bannir le tirage au sort. Ce dernier était illégal et il vous suffisait, pour l’interdire, d’appliquer la loi en vigueur à l’époque.


Cette loi est la première étape d’un projet de transformation radicale de l’organisation et des finalités de l’enseignement supérieur. La hausse des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires dont nous venons de débattre en constitue un nouveau stade, qui éclaire vos intentions réelles.


Depuis plus de dix ans, l’enseignement supérieur est dans une situation de sous-financement chronique. Le budget moyen par étudiant et le taux moyen de l’encadrement des jeunes ne cessent de baisser. La France est l’un des pays économiquement développés qui consacre le moins de moyens à son enseignement supérieur.


Cette crise, ancienne et persistante, est encore accentuée par l’arrivée massive de nouveaux bacheliers. Ils étaient près de 32 000 en 2018, soit une augmentation d’environ 5 % par rapport à 2017. Cette hausse devrait encore se poursuivre durant une dizaine d’années.


Lors de l’examen de votre projet de budget, la plupart des groupes a estimé que les moyens demandés par votre ministère pour l’année 2019 n’étaient pas à la mesure des enjeux auxquels notre pays doit répondre pour tenter de rattraper son retard.


Dans ce contexte, Parcoursup apparaît comme un instrument de gestion de la pénurie. Sa mise en œuvre a demandé des efforts supplémentaires considérables à l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur. Pour quels résultats ? Il est difficile de répondre précisément à cette question tant les données publiées par votre ministère sont générales et partielles.


En 2018, le nombre de candidats reçus au baccalauréat a augmenté de 5,3 %, mais le nombre d’étudiants ayant accédé à l’enseignement supérieur n’a progressé que de 2,2 %. Autrement dit, la procédure a découragé un grand nombre de lycéens de poursuivre leurs études au-delà du baccalauréat. Ainsi, 22 % des inscrits ont quitté la plateforme sans aucune affectation.


Notre devoir de parlementaire est de vous demander ce qu’ils sont devenus ? Ont-ils rejoint des établissements privés, les classes passerelles ouvertes par les rectorats ou le marché de l’emploi ? Alors que vous avez donné la garantie à chaque bachelier de pouvoir poursuivre son cursus dans l’enseignement supérieur, vous devez nous expliquer pourquoi près de 180 000 d’entre eux ont finalement fait un autre choix.


Ce taux de renoncement n’est pas le même selon les filières de l’enseignement secondaire. Parcoursup s’est révélé bien plus pénible et hasardeux pour les bacheliers des sections technologiques et professionnelles.


Lors de séances de questions au Gouvernement, vous m’avez demandé, madame la ministre, de bien vouloir « relayer fidèlement » vos chiffres. À mon tour, je vous fais la même demande.


Les bacheliers des filières générales ont attendu, en moyenne, quatre jours avant de recevoir leur première proposition. Ceux des filières technologiques ont dû patienter douze jours et les bacheliers professionnels, dix-sept jours.


Par ailleurs, 71 % des titulaires d’un baccalauréat général ont reçu une proposition le premier jour, contre seulement 45 % des titulaires d’un baccalauréat professionnel. Plus de 80 % des bacheliers des filières générales ont accepté une proposition lors de la phase principale, mais seulement 52 % des bacheliers professionnels.


Vos chiffres indiquent, madame la ministre, que Parcoursup a incontestablement facilité l’affectation des meilleurs bacheliers des sections générales. Mais ce dispositif a aussi rendu cette affectation beaucoup plus difficile pour ceux des filières technologiques, et même dissuasive pour les bacheliers professionnels. Il nous faut en comprendre les causes.


En l’état des informations disponibles, cette analyse n’est pas possible, car nous ignorons les modalités de fonctionnement des outils de sélection des universités, les fameux algorithmes locaux.


Pendant plusieurs mois, madame la ministre, vous nous avez expliqué que ceux-ci n’existaient pas ou qu’il s’agissait simplement d’outils d’aide à la décision.


Vous venez de rendre public le cahier des charges de la plateforme Parcoursup. Dans son préambule, ce document révèle que « le développement de la plateforme Parcoursup a été mené de manière “agile” » – c’est-à-dire que ce cahier des charges a été réalisé a posteriori.


À la page 14 de ce document, on apprend que les algorithmes dits « locaux » sont des outils utilisés par les établissements pour réaliser des préclassements.


Le 11 janvier dernier, M. Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes, nous en dit plus sur leur mise en œuvre. Ainsi, dans son université, « les équipes ont fait un préclassement automatisé des dossiers », indispensable en raison du nombre de dossiers à étudier et des délais d’examen très courts. Il ajoute que, « très souvent », un « redressement des notes » a été fait en tenant compte de la moyenne de la classe.


Pour les filières de la première année commune aux études de santé, la PACES, et du droit, une pondération des notes a même été réalisée en fonction du « taux brut de réussite au bac ». M. Frédéric Dardel confirme donc en tous points nos craintes et l’existence de ces algorithmes, que vous aviez qualifiés de « légendes urbaines ».


Madame la ministre, je vous rappelle solennellement que le règlement général européen sur la protection des données personnelles proscrit tous les traitements automatisés des dossiers individuels. Le Sénat, à l’unanimité, vous avait demandé la publication de ces algorithmes. Je vous ai écrit sans succès pour en obtenir la communication, et je suis indigné que vous ayez conseillé aux établissements de ne pas nous les transmettre ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)


Mme Maryvonne Blondin. Il a raison !


M. Roland Courteau. Très bien !


M. Pierre Ouzoulias. Vous aviez promis de rendre Parcoursup transparent. Cette condition ne peut pas être satisfaite tant que le processus de sélection des dossiers restera clandestin, invérifiable et incommunicable. Vous avez remplacé le tirage au sort par l’opacité.


Pour préparer ce débat, j’ai reçu de nombreuses contributions et questions. Je n’ai pas pu toutes vous les soumettre. Pour notre groupe, Céline Brulin vous en exposera d’autres, et je ne doute pas que vous, mes chers collègues, contribuerez à enrichir ce débat. J’ai cru comprendre que le Gouvernement souhaitait amender sa méthode de travail en laissant une plus grande place à la concertation et à l’évaluation de ses réformes par celles et ceux qui les éprouvent. Aussi, j’apporte ma modeste contribution à cet effort collectif en ouvrant un cahier de doléances national et en le mettant à la disposition de celles et ceux qui veulent poser leurs questions dans le prolongement de ce débat.


En ce qui nous concerne, nous persistons à penser que la République doit poursuivre le grand dessein de donner à tous les bacheliers les mêmes droits de continuer leurs études dans l’enseignement supérieur. Ensemble, nous devons donc œuvrer pour que l’État leur propose un cursus en adéquation avec leurs compétences et leur projet personnel, et définir les moyens budgétaires que nous sommes prêts à mobiliser pour satisfaire cette ambition politique.